XII
MONSIEUR SELBY
Fidèle à sa parole, Fox, le second maître canonnier, faisait des miracles avec son four à boulets qu’il alimentait de généreuses poignées de poudre et de brindilles d’ajoncs. Agenouillé près de la porte de fer, il surveillait le foyer, hochant la tête d’un air satisfait, puis repartait en courant contrôler le travail de ses hommes.
Bolitho regardait le soleil, à présent haut dans le ciel, qui illuminait le sommet de la colline. Il s’approcha du bord de la falaise pour observer les navires mouillés au loin. Les premiers signes de panique avaient fait place aux préparatifs d’appareillage, mais les vaisseaux étaient si soigneusement amarrés les uns aux autres qu’il leur faudrait encore une bonne demi-heure pour mener la manœuvre à son terme.
— Je vais voir M. Lang, décida-t-il brusquement. Prévenez-moi dès que le boulet sera à point.
Suivi d’Allday qui pressait le pas sur ses talons, il se dirigea à vive allure vers le sentier caillouteux ; il était ébloui par les reflets du soleil sur la mer et se sentait gagné par le désespoir. Il trouva Lang et ses hommes dispersés au-dessus du chemin, se protégeant du mieux qu’ils pouvaient derrière des éboulis, le mousquet pointé vers la colline où serpentaient les lacets du chemin par où viendrait l’attaque.
Lang aperçut Bolitho et se releva précipitamment.
— Nous avons perdu de vue les soldats, commandant. Mais ils devraient déboucher là-bas d’une minute à l’autre.
Bolitho fit signe à Carlyon :
— Dites à M. Quince d’envoyer ici sur-le-champ vingt hommes supplémentaires.
Il poursuivit à l’adresse de Lang :
— Nous pourrons tenir cet accès quelque temps à condition que ces gens ne nous prennent pas à revers.
Il pensait à voix haute, essayant d’examiner en stratège les terres qui s’étendaient au-delà de la colline. Il lui semblait incroyable qu’il y eût un tel rassemblement de troupes en cet endroit. Lequiller avait sans doute ses raisons pour agir de la sorte, mais lesquelles ?
La colonne renforcée de matelots armés, haletant, progressait sur le chemin.
— Dispersez-vous sur ce versant, cria-t-il. Et n’ouvrez le feu que sur mon ordre.
Mal à l’aise, Lang se balançait d’une jambe sur l’autre.
— Des nouvelles de l’escadre, commandant ?
Bolitho secoua la tête :
— Pas encore.
Il observait les matelots dépenaillés, peinant et soufflant, qui escaladaient la colline ; leur visage accusait la fatigue et ils jetaient des regards inquiets en direction de la mer. Nul besoin de leur rappeler la précarité de leur situation. Qui plus est, le manque de nourriture et le soleil ardent auraient tôt fait d’étouffer leur résistance et leur volonté de se battre.
Un bruit sourd éveilla leur attention : de lourdes bottes martelaient le chemin pierreux, telle une armée de tambours. Les premiers soldats apparurent au détour du sentier, et sur un ordre, s’arrêtèrent à moins de cent pas du matelot le plus proche.
Des pierres roulèrent : Pascœ, à bout de souffle, s’approcha de Bolitho.
— M. Quince vous fait dire que le premier boulet est prêt, commandant.
Il observa les rangs de soldats immobilisés au tournant du chemin et ajouta d’une voix rauque :
— Les Français !
Bolitho pointa sa longue-vue sur les assaillants silencieux.
— Seuls les uniformes sont français, monsieur Pascœ.
Il pouvait voir les soldats tituber de fatigue à la suite de leur marche forcée ; ils avaient le teint sombre et tenaient sans conviction leur fusil, baïonnette au canon.
— Aucun fantassin français ne se tiendrait de la sorte.
Il ajouta brusquement :
— Dites à M. Quince d’ouvrir immédiatement le feu sur le deuxième bâtiment. Il saura ce qu’il convient de faire.
Le garçon hésita, les yeux toujours fixés sur les soldats.
— Resterez-vous ici, commandant ?
Bolitho replia sa longue-vue et la fourra dans sa poche.
— Filez ! Ce n’est pas le moment de bavasser !
Pascœ tournait déjà les talons, lorsqu’il ajouta :
— Tout se passera bien, pour peu que vous touchiez ce navire !
— Certains des soldats à l’arrière de la colonne gagnent la colline, commandant ! murmura Lang.
— Préparez-vous à faire feu !
Il dégaina son épée et appuya la lame sur son épaule.
— Ils vont essayer de charger, monsieur Lang, gardez votre sang-froid !
Un coup de sifflet retentit à l’entrée du tournant. Les premiers rangs de soldats se ruèrent aussitôt sur le sentier, qui se rétrécissait à cet endroit ; une avalanche y avait ouvert une faille abrupte qui surplombait directement la mer.
— Mettez en joue !
Bolitho leva son épée. Il avait les lèvres sèches et pouvait sentir la sueur couler sur sa poitrine.
— Feu !
Quarante mousquets crépitèrent, gerbe allumée dans tous les recoins du maquis où se dissimulaient les matelots. Entre deux nuages de fumée, Bolitho vit les soldats chanceler, s’effondrer, certains même basculer dans le vide.
— Rechargez !
Il s’efforçait de maîtriser sa voix, conscient qu’au moindre signe de panique ses fragiles défenses s’effondreraient. Quelques soldats se risquaient encore à avancer, mais hésitèrent quand ils découvrirent les corps étendus de leurs camarades. Puis, genou à terre, ils se mirent à tirer aveuglément vers les flancs de la colline. Les balles sifflaient et ricochaient de toutes parts.
— En joue ! Feu ! hurla Bolitho.
La salve fut moins fournie, car certains matelots, coincés dans des positions inconfortables, n’avaient pas eu le temps de recharger ; mais elle fut plus que suffisante pour semer la mort parmi les rangs ennemis. Tout en continuant à tirer, les soldats commencèrent à se replier, laissant une douzaine de morts et de blessés derrière eux, sans compter tous ceux qui étaient allés s’écraser en contrebas de la falaise.
Une explosion sourde retentit.
— J’espère que Fox est toujours en portée, monsieur Lang, soupira Bolitho.
Une balle de mousquet lui siffla aux oreilles, et d’un bond il se mit à l’abri derrière les rochers, alors que d’autres coups de feu fusaient de la colline.
— Des tirailleurs !
La main en visière, il vit plusieurs silhouettes courir sur la crête ; quelques-unes vacillèrent, succombant sous les tirs redoublés des matelots. Il agrippa le lieutenant par l’épaule :
— Restez ici. Je vais voir comment cela se passe avec les canons. Et gardez vos hommes à couvert, quoi que fasse l’ennemi !
Il dévala la pente à toutes jambes ; les coups de feu et les cris qui fusaient à ses oreilles furent bientôt étouffés par les replis du terrain.
Il retrouva Quince dans la même position, au bord de la falaise. Tremblant d’excitation, le lieutenant désignait les navires du doigt : le deux-ponts le plus proche tentait désespérément de se libérer de ce qui semblait être une haussière engagée ; il gîtait au vent, la proue retenue captive par les câbles. Le deuxième bâtiment paraissait intact, mais en ajustant sa longue-vue, Bolitho vit un panache de fumée s’échapper de la poupe, et des silhouettes, armées de seaux et de haches, se précipiter au milieu de la fumée déployée en panache.
Fox était comme fou.
— Touché !
Il se tourna vers les canonniers qui jubilaient :
— Un autre boulet, bande d’ahuris !
Il courut jusqu’au four prêter main-forte aux matelots qui peinaient sous le poids d’un berceau en fer supportant un énorme boulet incandescent de trente-deux.
— M. Lang ne pourra pas tenir beaucoup plus longtemps, souffla Bolitho à Quince. Il doit y avoir là-bas au moins deux cents soldats, et sans doute encore davantage en ville.
Quince se raidit et le dévisagea :
— Mais pourquoi, commandant ? Pourquoi La Mercedes avait-elle besoin d’une telle garnison ?
Bolitho vit la fumée se dissiper au-dessus du bâtiment français : les matelots avaient réussi à étouffer l’incendie. Fox, comme inconscient de l’imminence du danger, vérifiait que le gousset de poudre était bien trempé avant de laisser ses hommes glisser le boulet dans la gueule du canon.
— Je ne sais pas, monsieur Quince, finit par répondre Bolitho ; du moins, pas encore.
Le canon recula une nouvelle fois, et Bolitho vit en un éclair le projectile atteindre le sommet de sa trajectoire avant de plonger vers le navire au mouillage. Tel un point noir sur le soleil, pensa-t-il.
Les canonniers crurent un instant qu’il avait manqué sa cible, mais le bâtiment avait été frappé sur tribord, juste à l’avant. A la vue de la fumée qui s’élevait, Bolitho comprit que le navire était mortellement touché : déjà des flammes léchaient les sabords supérieurs, puis le panache s’épaissit soudainement, comme chassé de l’énorme carcasse par un souffle géant.
— Les autres navires ont enfin appareillé, commandant.
Quince frappa du poing en voyant une énorme langue de feu s’élever des haubans principaux du bâtiment blessé ; la partie centrale de la coque ne fut bientôt plus qu’une effroyable torche.
— Changez de cible, monsieur Fox !
Bolitho fit brusquement volte-face lorsque Carlyon, titubant, s’avança vers Quince. Ses deux genoux étaient entaillés et son front ouvert.
— Je… je suis tombé, commandant !
Il ferma les yeux en entendant le canon tonner derrière lui.
— J’ai couru aussi vite que j’ai pu…
Il se tut, les traits marqués par le désespoir. Bolitho le saisit par le bras et le secoua :
— Que se passe-t-il ?
— M. Lang est blessé, commandant ! Nos hommes se replient.
Il vacilla et se serait écroulé si Bolitho ne l’avait pas soutenu.
— Les soldats déboulent de partout, commandant ! Impossible de les contenir !
Bolitho se tourna vers Quince.
— Dirigez ce canon vers le sentier ! hurla-t-il.
Comme les hommes hésitaient, il jeta :
— Remuez-vous ! Mettez les prisonniers au travail et poussez les autres pièces par-dessus la falaise ! - puis fixant le visage sévère de Quince : Ce sont au moins des canons qu’ils n’utiliseront plus !
La première bouche à feu basculait dans la mer, quand il reprit :
— Il faut que je rejoigne nos hommes. Assurez-vous que le canon restant est chargé et pointé dans la bonne direction.
Puis il repartit en courant sans laisser à Quince le temps de lui poser la moindre question. Quand il atteignit la barrière d’éboulis, là où quelques heures auparavant il avait mené ses hommes à l’attaque, les matelots se repliaient vers lui : quelques-uns déchargeaient leurs mousquets en direction de la colline, d’autres, éclopés ou blessés, se traînaient comme ils pouvaient pour tenter de se mettre à l’abri.
— Par ici ! fit Bolitho en pointant son épée vers le chaos de rochers. Mettez-vous à couvert et rechargez vos armes !
A un homme qui essayait de passer outre, il cria :
— Arrête-toi, ou par Dieu je te tue de mes propres mains !
Allday grommela d’une voix rauque :
— Où est M. Pascœ ?
Bolitho justement l’apercevait qui descendait le sentier en soutenant Lang, un Lang titubant, le bras passé autour des épaules du garçon. Le lieutenant était couvert de sang et un bandage grossier lui couvrait les yeux.
De nouveaux coups de feu éclatèrent depuis la colline ; l’ennemi s’était arrêté pour consolider sa position et ajuster son tir. Un matelot roula le long de l’éboulis, un autre s’effondra sans un cri, mortellement touché.
Laissant à d’autres le soin de transporter le lieutenant blessé derrière les rochers, Pascœ s’écroula dans les bras d’Allday, et Bolitho s’approcha de lui :
— Ça va, mon garçon ?
Il l’étendit contre la roche chauffée par le soleil.
— Tu t’es conduit comme un homme !
Lang gémissait :
— Mes yeux ! Mon Dieu, je ne vois plus rien !
Pascœ le regarda fixement :
— Une balle a ricoché sur un rocher près duquel il se trouvait, commandant.
Il frissonna mais ne cilla pas.
— Il a reçu des éclats dans les yeux…
Il eut juste le temps de faire volte-face et se mit à vomir.
Bolitho détourna lentement les yeux et aperçut au loin un matelot qui courait comme un fou vers le bord de la falaise. Un instant, il prit l’homme pour un forcené qui tentait, dans un geste désespéré, d’échapper à toute cette furie. En réalité, l’homme, poussant des cris frénétiques, voulait attirer l’attention de ses camarades sur une forme blanchâtre que Bolitho distingua à travers la fumée du navire en feu. Il y eut dans l’air comme un souffle chaud tandis que le fracas d’une bordée se répercutait à travers les collines.
Le matelot se balançait d’un pied sur l’autre, les mains serrées sur la poitrine, comme s’il priait. Il cria à tue-tête :
— Regardez, les gars ! C’est ce vieil Hermes !
Puis il tomba de la falaise, tête la première. Son cri se perdit dans le grondement des canons tandis que de nouvelles voiles déchiraient l’écran de fumée. La vue de son propre navire venant enfin à son secours fut la dernière image qu’il emporta avec lui.
— En arrière, messieurs ! Repliez-vous vers la pointe ! cria Bolitho, redressé soudain de toute sa hauteur.
Les balles sifflaient autour de lui, faisant de nouvelles victimes parmi les matelots, courbés en deux, qui franchissaient en courant l’espace à découvert. Allday portait Lang sur ses épaules et Bolitho crut que Pascœ allait s’évanouir à la vue d’un homme foudroyé, le crâne réduit en bouillie par une balle.
Fox maintenait la corde à feu en place lorsque le premier des soldats atteignit l’éboulis, puis il fit un bond de côté quand le boulet faucha les rangs ennemis telle une hache géante.
Ce coup de canon et la vue des navires entrant lentement dans la baie suffirent à décourager les assaillants : ni les coups de sifflet ni les ordres des officiers n’empêchèrent les fantassins de battre en retraite vers la colline. Ils continueraient sans doute à courir jusqu’à la ville, de peur d’être pris à revers par des troupes débarquées des bâtiments de renfort.
— Il s’en est fallu de peu, commandant ! haleta Quince.
Bolitho ne répondit pas immédiatement. Il observait son propre navire, ce brave Hyperion, qui virait de bord autour du bâtiment français. La fumée de ses canons masquait les terribles dégâts causés par les bordées successives qui déchiraient le vaisseau ennemi désormais réduit à l’impuissance. Bolitho était trop loin pour pouvoir distinguer les détails, mais il imaginait très bien Inch s’appliquant à virer, Gossett à ses côtés, aussi impassible qu’un chêne anglais. Il promena son regard alentour, et fut tout à coup écœuré à la vue des corps étendus sur le sol et des prisonniers apeurés que regroupaient ses hommes.
Ils avaient parcouru trente milles pour cela ! Trente milles de souffrances à travers les marais-où pourtant ils n’avaient failli perdre courage qu’en une seule occasion. Il regarda les blessés, puis les hommes encore valides et prêts à se battre. Mais il en restait bien peu en vérité…
— M. Fox vous fait dire que le sloop Dasher est mouillé en contrebas, reprit Quince. Il met des canots à l’eau pour nous ramener à bord.
— Bien.
Il lui en coûtait même de parler.
— Transportez les blessés jusqu’au rivage, dès que le dernier canon aura été jeté du haut de la falaise.
Il se retourna : la lourde pièce avait basculé et, parmi les cadavres flottants, s’abîmait par le fond.
A son retour, Quince trouva Bolitho seul, qui scrutait au loin les navires.
— L’Hermes a mis des canots à la mer, commandant. Je pense qu’il envoie un détachement pour rendre la vie plus difficile encore aux Grenouilles.
Toute résistance avait cessé à bord du français de tête. Il donnait déjà fortement de la bande : l’eau s’engouffrait par ses sabords inférieurs. Le deuxième vaisseau n’était plus que flammes, et Bolitho craignit un instant de voir Inch le serrer, au risque de mettre le feu à l’Hyperion. Mais au moment où les huniers de ce dernier se tendaient sous nouvelles amures, il vit les gerbes d’étincelles et de cendres brasillantes passer bien au large de sa coque. Quelques Français rescapés suspendirent leur nage effrénée pour observer le deux-ponts qui évoluait avec lenteur, leur montrant sa figure de proue menaçante, sous les hourras de l’équipage.
Plus un signe des deux autres bâtiments ennemis. Ils avaient dû appareiller et arrondir la pointe au loin à l’instant où l’escadre anglaise pénétrait dans la baie par l’autre extrémité.
Bolitho aperçut Pascœ debout près du four désormais abandonné, son poignard toujours en main.
— Viens avec moi, mon garçon. Tu en as fait et vu plus que dix hommes aujourd’hui.
Pascœ le regarda avec sérieux :
— Merci, commandant.
Le lieutenant responsable des canots du Dasher dévisageait les survivants boiteux et déguenillés avec un sentiment empreint d’horreur.
— Où sont les autres ?
Parmi les marins exténués qui se traînaient ou étaient transportés jusqu’aux canots, il ne reconnut aucun officier.
Bolitho attendit que le dernier matelot eût embarqué avant de les rejoindre.
— Nous sommes les « autres » ! rétorqua-t-il froidement.
Puis il prit place dans le canot. Il observait, silencieux, ses hommes : deux canots à présent suffisaient largement à les transporter alors qu’il en avait fallu quatre pour les débarquer, quelques jours auparavant.
Il nota que le Telamon virait de bord, s’appuyant sur la brise de terre, pavillons hissés. De l’Indomitable, pas un signe ; mais Bolitho était trop épuisé pour s’en inquiéter.
— Ordre de se replier, commandant, annonça Quince. Le commodore doit être à bord du vaisseau hollandais.
Bolitho leva les yeux, incapable de dissimuler plus longtemps l’amertume qui l’habitait :
— Alors, pour sa propre sécurité, j’espère qu’il y restera !
Il observa à nouveau son équipage. Lang sanglotait sans bruit, les mains sur ses yeux couverts de pansements ; les autres étaient trop exténués pour seulement répondre aux cris des matelots qui les saluaient depuis le sloop au mouillage. Ils avaient fait ce qui leur avait été demandé, et même davantage, mais la flamme qui brûlait en eux s’était éteinte avec le dernier coup de feu. Le soulagement d’avoir survécu, d’avoir été secourus, avait brisé leur résistance : leur inconsciente et folle bravoure s’était évanouie. Ils restaient là, assis ou allongés, l’air absent, revivant peut-être les derniers instants de la bataille – bataille qu’ils se rappelleraient plus tard, avec fierté ou terreur, avec tristesse pour leurs camarades tués, ou reconnaissance pour s’en être eux-mêmes sortis vivants.
Le jeune commandant du Dasher s’avança vers Bolitho.
— Soyez le bienvenu à bord, commandant ! fit-il d’un ton enjoué. Puis-je faire quelque chose pour vous avant que nous ne levions l’ancre ?
Bolitho regarda le vaisseau en flammes. Il avait pratiquement disparu : seules quelques membrures noircies semblaient encore défier le feu, et il se maintenait miraculeusement à flot, comme pour prolonger le spectacle de son agonie.
— Faites-moi regagner mon navire.
Il luttait contre la fatigue qui envahissait son corps et son esprit.
— Et occupez-vous de ces hommes. Ils reviennent de loin et ne doivent pas souffrir plus longtemps sans raison.
Le commandant fronça les sourcils, se demandant ce qu’avait voulu dire Bolitho. Finalement, il s’éloigna pour donner ses ordres, manifestement préoccupé par ce qu’il avait vu et entendu.
Un peu plus tard, quand les vaisseaux quittèrent la baie pour se remettre en formation, un vent chargé de cendres les poursuivait encore : un vent qui portait avec lui l’odeur de la mort.
Le lieutenant Inch pénétra d’un pas hésitant dans la cabine arrière et ferma les yeux, ébloui par le reflet du soleil sur l’eau.
— Vous m’avez fait demander, commandant ?
Bolitho, torse nu, se rasait précipitamment devant un miroir posé sur son bureau.
— Oui. Avons-nous reçu un message du Telamon ?
Inch, les yeux ronds, regarda Bolitho s’essuyer le visage avec vigueur et passer une chemise propre. Cela faisait à peine cinq heures qu’il avait regagné l’Hyperion, et c’est tout juste s’il avait pris le temps de se restaurer et de se reposer quelques instants, après toutes ces épreuves.
— Nous n’avons rien reçu, commandant.
Bolitho s’approcha de la fenêtre et scruta le rivage qui disparaissait au loin sous la brume, par tribord. Les navires progressaient à peine, tirant bord sur bord ; les voiles de l’Hermes, dans son sillage, étaient pratiquement immobiles et sa coque se reflétait comme en un miroir sur la surface des eaux.
Il pensait que Pelham-Martin convoquerait ses capitaines à bord du Telamon, ou adresserait au moins un message de félicitations à l’escouade qui avait vaillamment combattu jusqu’à la limite de ses forces. Au lieu de cela, c’est le signal du départ qui avait été hissé. Puis, après de longs moments d’attente qui l’avaient exaspéré, des canots remplis jusqu’aux plats-bords avaient poussé de l’Hermes en direction de l’Hyperion.
Le lieutenant Quince les avait rejoints pour leur annoncer que le détachement débarqué par l’Hermes s’était emparé de la prison et avait libéré une soixantaine de matelots ; le commandant Fitzmaurice leur en envoyait une cinquantaine pour compléter l’équipage de l’Hyperion. Quince était également monté à bord pour leur faire ses adieux. Pelham-Martin l’avait nommé commandant de l’Indomitable, qui était hors de combat. Il avait pour mission de faire route vers Antigua, à quelque six cents milles au nord-est ; il trouverait là les installations nécessaires à sa remise en état, en attendant de regagner l’Angleterre où il serait repris à neuf.
Bolitho était monté sur le pont pour regarder le soixante-quatorze canons s’éloigner lentement de ses conserves. Il donnait fortement de la bande ; sa coque portait la trace des nombreux coups encaissés, et le bruit des pompes ne révélait que trop ses difficultés à se maintenir à flot. Rien d’étonnant à ce qu’il n’ait pu intervenir lors de l’attaque finale de Las Mercedes. Une bordée de plus, et il aurait sans nul doute chaviré et coulé.
Cela lui faisait plaisir de savoir que Quince avait été récompensé de ses efforts et, en voyant disparaître l’Indomitable dans la brume, voiles déchirées et mâts brisés, tel un symbole de la douleur et de la mort qu’il emportait avec lui, il avait pensé à Winstanley : lui aussi aurait été heureux de savoir son navire en de si bonnes mains.
Ils faisaient à nouveau route à l’est. De toute évidence, Pelham-Martin avait renoncé à poursuivre les deux bâtiments français qui s’étaient échappés, mais ils n’en savaient pas plus sur ses intentions.
Pendant sa brève visite, Quince lui avait confié :
— Le commodore semble satisfait des résultats de notre attaque, commandant. Deux bâtiments de ligne français détruits et deux autres en fuite…
A quoi Bolitho avait froidement répondu :
— Nous aurions pu tous les détruire !
Quince l’avait observé calmement :
— Vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir, commandant. Je pense que toute l’escadre en est consciente.
Bolitho avait haussé les épaules :
— Je ne veux pas me contenter de demi-mesures.
Il posa le rasoir sur le bureau et poussa un soupir :
— Avez-vous fait prêter serment aux derniers embarqués, monsieur Inch ?
— Oui, commandant. J’en ai également interrogé certains, comme vous me l’aviez demandé.
Bolitho gagna le bord opposé et, tout en se protégeant les yeux du soleil, fixa l’horizon : dans la lumière de cette fin d’après-midi, il brillait comme une lame d’or. Il aurait aimé rencontrer et questionner lui-même les nouveaux venus, mais il ne se sentait pas encore la force d’affronter qui que ce fût. Quand il était remonté à bord de l’Hyperion avec ses hommes, les cris de bienvenue et les encouragements, la chaleur même de l’accueil, tout cela n’avait fait qu’aiguiser l’extrême fatigue qui l’habitait.
Inch, plus que tout autre, souriant et exultant, lui avait manifesté sa joie. Son euphorie était à la mesure des craintes qui l’avaient assailli, et rien, pas même l’expression de sévérité forcée de Bolitho, n’avait pu la dissiper.
— Ce sont tous d’excellents marins, commandant, reprit Inch. Ils étaient sur un navire marchand, le Bristol Queen, et ils ont survécu à un naufrage alors qu’ils faisaient route vers Caracas. Quelques membres de l’équipage ont pu mettre des canots à la mer et ont fini par atteindre Las Mercedes où ils ont été jetés en prison.
Il grimaçait de colère :
— Ces satanés Espagnols n’ont vraiment aucune compassion…
Bolitho posa les mains sur son bureau, promenant un regard vague sur la carte qui s’y trouvait :
— Dois-je comprendre qu’aucun officier n’a survécu ?
— Aucun, commandant. Mais la chance nous a néanmoins souri : il y avait parmi eux un maître d’équipage.
Il hocha la tête en réponse à la question implicite de Bolitho :
— Oui, commandant, un homme de la Navy !
— Eh bien, cessez de me tenir en haleine, monsieur Inch !
— Lui et un autre matelot ont apparemment été recueillis il y a de cela quelques mois. Ils étaient sur le Cornelia, un vaisseau de soixante-quatorze canons. Ils sont passés par-dessus bord et se sont accrochés à une yole chavirée… Du moins le maître d’équipage, car l’autre homme était déjà mort, commandant.
— Il n’a échappé à la mort que pour être jeté en prison ! Eh bien, il sera le bienvenu à bord ! répliqua Bolitho songeur. Il nous sera très utile, monsieur Inch. Je suppose que vous vous êtes assuré que chacun ait pu envoyer des nouvelles à ses proches par l’intermédiaire de l’Indomitable ?
— Le lieutenant Quince me l’a confirmé, commandant ! Mais le maître d’équipage n’a transmis ni lettre ni message. Contrairement aux autres, j’ai l’impression que la vie à bord est son seul univers.
Bolitho, aux coups de sifflet et aux piétinements qui résonnaient au-dessus de sa tête, identifia la relève de la garde.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Selby, commandant.
— Faites-le venir ici immédiatement. Il pourrait avoir vu ou entendu quelque chose à Las Mercedes. Je ne crois pas que nous sachions réellement ce qui s’est passé ici.
Il se renfrogna, indifférent à la perplexité d’Inch.
— Tous ces soldats espagnols en uniforme français, l’état de préparation des navires et l’emplacement judicieux de cette batterie à terre… Non, monsieur Inch, ce manque d’informations est loin de me satisfaire.
Après le départ de son second, il se pencha à nouveau sur la carte. Où Lequiller pouvait-il bien se trouver en ce moment ?
Il pensa brusquement au lieutenant Lang, désormais à bord de l’Indomitable avec les autres blessés, en route pour l’Angleterre via Antigua. Qu’allait-il devenir ? Le chirurgien ne lui avait laissé aucun espoir : il était aveugle pour jamais. Sans ressources personnelles ni relations, il était voué à l’oubli le plus total, condamné à grossir les rangs de ces épaves que l’on pouvait voir errer dans tous les ports, là où la mer s’ingéniait à leur rappeler leur inutilité, leur mise à l’écart.
Ce maître d’équipage était une aubaine. Bolitho devrait promouvoir Gascoigne au rang de lieutenant commissionné, malgré son manque d’expérience ; et un homme de métier de plus parmi la maîtrise, c’était de l’or.
On frappa à la porte. Inch fit son apparition :
— M. Selby, commandant.
Il s’écarta pour laisser entrer le maître d’équipage.
— Signal en provenance du Telamon, commandant : « Réduire la toile et rester à faible distance en prévision de la nuit. »
Bolitho s’appuya contre le bureau ; ses mains crispées tentaient de contenir ses tremblements.
— Merci, monsieur Inch.
Sa voix semblait lointaine.
— Exécutez les ordres.
Inch fut sur le point de parler, mais préféra se taire. Un bref regard au maître d’équipage, et il quitta la cabine, fermant la porte derrière lui, sans un bruit.
Bolitho entendait sa propre respiration mais ne sentait plus ses membres. L’homme qui lui faisait face avait le dos voûté et ses cheveux, tirés en arrière, étaient presque totalement gris. Mais sa façon altière de relever le menton, son regard assuré, quoique avec un soupçon de résignation, n’avaient en rien changé.
Bolitho, en proie à l’incrédulité et au désespoir, mesurait l’incroyable force du destin qui les réunissait une fois encore. Comme en un rêve, il revoyait avec précision le visage de son père lui apprenant la disgrâce de Hugh, sa désertion de la Navy, sa disparition dans les Caraïbes.
Il se remémorait aussi la fameuse rencontre avec son frère, qui l’avait fait prisonnier à bord de l’Andiron, ce corsaire américain ; et plus tard, il y avait de cela près de deux ans aujourd’hui, lors de l’échec final de la campagne de Saint-Clar et Cozar : ils n’étaient séparés que par quelques toises, et pourtant il ne l’avait même pas vu.
— Je suppose que cette nouvelle rencontre était inévitable, dit-il d’une voix blanche.
D’un geste, il lui désigna une chaise :
— Assieds-toi si tu veux.
Son frère ne le quittait pas des yeux.
— Je ne voulais pas venir, Dick. Je croyais me trouver à bord de l’Hermes. Je ne savais même pas que ton navire était dans les parages.
Bolitho lui versa un verre de vin rouge :
— Tiens, prends cela, et raconte-moi ce que tu faisais ici.
De la main, il lui montra ses vêtements.
— Et dis-moi comment tu as fait pour revêtir cet uniforme ?
Hugh Bolitho vida son verre et se passa la main dans les cheveux.
— Il y a deux ans, alors que j’étais en route pour la Nouvelle-Hollande pour y purger ma peine, tu m’as offert, bien que sans le savoir, une nouvelle chance. La plupart des forçats ont été ramenés à Gibraltar, dans l’attente de leur déportation, après notre départ de Saint-Clar.
Il semblait plus détendu.
— J’ai été embarqué sur un vaisseau de guerre en partance pour Botany Bay, et, lors d’un orage, j’ai décidé d’essayer de m’évader. J’ai pu atteindre la yole, mais le maître d’équipage de garde m’a découvert et m’a poursuivi. Il m’a rejoint dans le canot.
Il haussa les épaules, le regard perdu dans ses souvenirs.
— Nous nous sommes battus, et la yole s’est détachée. Nous nous sommes rendu compte que le navire avait continué sa route comme si de rien n’était ; nous en avons pris notre parti. L’orage a redoublé et le canot a chaviré. Nous n’avions rien, pas une goutte d’eau. Quand on nous a recueillis, Selby, c’était son nom, était mort. Je n’en étais pas loin moi-même !
Bolitho se passa la main sur le front. La fatigue et la tension de ces derniers jours se faisaient sentir et il lui fallait réfléchir avant chaque parole.
— Mais pourquoi avoir pris l’identité de cet homme ?
La sueur lui coulait sur la poitrine.
— Tu devais bien te douter qu’un jour ou l’autre, tu te retrouverais sur un navire au service du roi !
Hugh acquiesça d’un mouvement de tête qui parut à son frère à la fois étrange et familier.
— J’étais, et je suis toujours fatigué de m’enfuir, Dick, de changer de nom, de devoir toujours regarder par-dessus mon épaule. Alors je me suis dit, quelle meilleure cachette qu’un navire de la Royale ?
Il sourit d’un air las.
— Mais on dirait que je me suis trompé, une fois de plus…
Une cloche sonna sur le pont et des pas se firent entendre sur les claires-voies de la poupe. Quelqu’un pouvait entrer à tout moment.
— Tu aurais dû, plus que tout autre, savoir que le risque était grand de te faire reconnaître ! rétorqua d’une voix dure Bolitho.
— Je voulais retrouver un environnement familier, un endroit où me cacher en attendant que ce navire regagne l’Angleterre. Je voulais seulement rentrer chez moi une dernière fois. Rien d’autre n’avait plus d’importance.
Il se leva brusquement et reposa son verre sur la table.
— Je suis désolé. Plus que je ne saurais le dire. Je sais que tu dois faire ton devoir. J’ai eu ma part de chance, je ne te reprocherai pas de me faire mettre aux fers jusqu’à mon procès.
Il recula d’un pas lorsqu’il entendit frapper à la porte. Bolitho sentit le regard de son frère fixé sur lui quand il répondit :
— Entrez !
L’aspirant Pascœ s’avança, une longue-vue sous le bras.
— M. Roth vous présente ses respects, commandant. Il vous demande l’autorisation de prendre un deuxième ris, le vent fraîchit au nord-est, commandant.
Bolitho détourna le regard ; la voix du jeune garçon résonnait dans sa tête comme une musique de songe.
— Bien, monsieur Pascœ, je monte immédiatement.
Pascœ s’apprêtait à franchir le seuil de la cabine, lorsqu’il l’arrêta.
— Voici M. Selby, maître d’équipage.
Il se retourna vers son frère, impassible.
— M. Pascœ s’est conduit avec bravoure lors de la dernière attaque.
Après le départ de Pascœ, il ajouta :
— Ce garçon a traversé bien des épreuves. Son père l’a déshonoré, et c’est auprès de moi qu’il cherche confiance et conseil, ce dont je suis très fier.
— Je ne comprends pas.
— Je n’ai pas l’intention de détruire ce garçon en faisant mettre aux fers l’homme qu’il croit mort ! Un homme dont le nom est gravé sur une tombe à Falmouth à côté de celui de mon père !
Il vit son frère chanceler, mais ne put s’interrompre :
— Il a traversé la Cornouailles, seul et sans aide, simplement pour lire ce nom ! Ton nom !
La voix de Hugh était rauque :
— Je ne savais pas.
Il leva des yeux emplis de désespoir.
— Et sa mère ?
— Elle est morte. Elle en avait été réduite à se donner à son propriétaire pour assurer gîte et couvert à son fils !
— Je ne savais vraiment pas…
Il était sans force.
— Tu dois me croire !
Bolitho le toisa, les yeux brillants de colère :
— Peu m’importe ce que tu savais ou croyais, tu m’entends ? Je suis le commandant de ce navire, et tu es M. Selby, le maître d’équipage de la bordée bâbord !
Il vit son frère pâlir sous son teint hâlé.
— Si tu pensais échapper à ton passé, tu te trompais. Le commandant de la frégate Spartan a également été ton prisonnier. Mon deuxième lieutenant et nombre de mes hommes sont des Cornouaillais. Tu ne peux échapper à ton passé, pas plus que je ne le puis !
— Merci de m’avoir donné la chance de…
Sa voix se brisa. Bolitho gagna les fenêtres de poupe et regarda fixement l’Hermes qui progressait lentement dans leur sillage.
— Je n’ai jamais vraiment eu le choix. Si nous atteignons l’Angleterre, je verrai ce que je peux faire, mais je ne te fais aucune promesse. Souviens-t’en !
Il lui montra la porte.
— Exécute mes ordres et présente-toi au maître.
Il baissa la voix et ajouta calmement :
— Et si tu cherches à dire la vérité à ce garçon, je veillerai personnellement à ce que tu sois pendu !
La porte se referma, et Bolitho s’effondra dans son fauteuil. Comment cela était-il possible ? Sa mission pouvait durer encore de nombreux mois, peut-être même des années ! C’était aussi insupportable qu’injuste.
La porte s’ouvrit à nouveau, et Inch demanda d’une voix inquiète :
— M. Pascœ vous a-t-il transmis la demande de mettre un nouveau ris, commandant ?
Bolitho se leva, tout son corps tremblant malgré les efforts qu’il faisait pour se contrôler.
— Oui, merci, je gagne le pont.
Inch l’accompagna jusqu’à la dunette.
— M. Selby vous a-t-il apporté des informations intéressantes, commandant ?
Bolitho le dévisagea, pris au dépourvu.
— Des informations, quelles informations ?
— Excusez-moi, commandant, je croyais…
Le regard pénétrant de Bolitho le figea sur place.
— Je comprends…
Bolitho gagna le côté sous le vent et observa les gréements étarqués.
— Peu de choses, en vérité.
Les sifflets retentirent et la bordée de quart envahit les enfléchures. Bolitho se tenait près du bastingage, étranger à l’activité qui se déployait autour de lui ; il serrait dans sa main le médaillon qui pendait sur sa poitrine.
Lorsque la nuit enveloppa les navires et que les feux de poupe scintillèrent, telles des lucioles, sur la mer à peine ridée, il se tenait encore au même endroit, le regard perdu dans l’obscurité. Ce n’est que lorsque Gossett, le pas lourd et l’haleine chargée de rhum, apparut sur le pont pour inspecter le renard et échanger quelques mots avec les timoniers que le charme se rompit. Bolitho passa à côté d’eux sans un mot et pénétra dans sa cabine.
Gossett l’observa en se frottant la mâchoire avec une soudaine appréhension. Puis il jeta un œil vers les perroquets maintenant réduits et tapota le sablier d’un doigt massif. Un nouveau jour se lèverait, qui ferait oublier les souvenirs de la bataille, se dit-il. Rien de tel qu’un changement de vent et de temps pour chasser les idées noires.